Poésies et chansons françaises sont intimement liées depuis des siècles : des aèdes de l'Odyssée aux chansons à textes de Brel ou Ferré. Poésie mise en musique ou chanson poétique ? Qu'importe, le plaisir est là.
Et ce blog, comme d'habitude, ne se veut pas spécialiste mais simple retranscripteur d'un moment de partage agréable, vécu autour de quelques grands textes, au club lecture de l'Institut Français de Tokyo.
Bernard Lavilliers chante Cendrars
Le Figaro.fr
Article du 4 décembre 2013
LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous a séduit dans la poésie de Cendrars ?
Bernard LAVILLIERS. - Je l'avais découvert adolescent, à travers des poèmes flash, des images qui claquaient, celles de Feuilles de route: «Iles inoubliables et sans nom/ Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous». La bourlingue, déjà, celle qui m'attirait. Avec Blaise, on est dans l'action, c'est ce qui m'a d'emblée fasciné. Aragon, que j'aime aussi, prenait plutôt des détours «poéteux». Avec la mise en musique de La Prose du Transsibérien, vaste poème mécanique et cinématographique, c'est un vieux rêve qui se réalise. Comme moi, Blaise n'aimait pas les contraintes et les clans ; il respectait les marginaux. Depuis, il m'est devenu un «vieux comparse», comme je le dis dans Y'a pas qu'à New York. Auparavant, j'avais enregistré Tu es plus belle que le ciel et la mer, qui s'ouvre ainsi: «Quand tu aimes il faut partir». Blaise était sensible et brutal, à mon image. Il s'est mis en danger. Sa vie a rejoint sa poésie.
Que peut apporter la chanson à la poésie?
J'ai déjà adapté Apollinaire, Aragon (Est-ce ainsi que les hommes vivent?),Tristan Tzara, Baudelaire(Les Promesses d'un visage)… Le chanteur a un rôle déterminant de passeur. Hugo le disait déjà. Il se doit de faire connaître les grands textes. Nous sommes les derniers passeurs. Les comédiens qui lisent de la poésie en font des tonnes, surjouent. Ils desservent les poèmes. Pour ma part, j'ai bien retenu la leçon de Léo Ferré, que j'ai côtoyé à partir de 1976, j'avais alors trente ans. Léo qui disait: «Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous lŽappellerons “bonheur”.» Ce bonheur-là passe aussi par la poésie et la chanson.
Pour le compositeur, le poème est-il essentiel ou accessoire?
C'est une source, une fontaine inépuisable. Je lis beaucoup de poésie. Elle me nourrit. J'en lis sur scène, entre deux chansons. Je garde précieusement une édition originale et numérotée des Fleurs du mal… Vous connaissez cette fulgurance de René Char: «La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil»? (Il cite ensuite par cœur un poème de Valéry.) Le poète et le chanteur, et ce depuis les troubadours, sont à la fois Vulcain et Orphée: la forge et la lyre. Ils ont en commun l'amour de la beauté rythmique, des mots et de la liberté. Leur leçon est: «Retiens le poème qu'on te dit!» Et qu'on te chante…
Blaise Cendrars ( 1887 – 1961 )
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
Pierre Ronsard ( 1524 - 1585 )
Ode à
Cassandre
Mignonne,
allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! Voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! Las ! ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! Voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! Las ! ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
1550
Quand vous serez bien
vieille
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Sonnets pour Hélène, 1578
FRANÇOISE HARDY
JULIETTE GRECO
Ce même thème a été repris par Juliette GRECO sur un texte de Raymond QUENEAU
Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa va
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
Raymond Queneau, L'instant fatal
Le vocabulaire poétique nous rappelle les liens étroits qui existent entre poésie et chanson.
Une ode est un poème destiné à être chanté.
Une épopée est un long poème racontant des aventures héroïques que les aèdes récitaient et chantaient.
Un rondeau désigne à la fois une forme musicale, une danse traditionnelle de Gascogne et un poème.
Une ballade est un poème lyrique d'origine chorégraphique, d'abord chanté.
Georges Brassens notamment rendit ce genre célèbre en mettant en musique un poème de François Villon.
Ballade des dames du temps jadis
Dites moi
où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang
Qui beauté eu trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qui beauté eu trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Ou est la très sage Hélloïs,
Pour qui châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour eu cette essoine.
Semblablement, ou est la reine
Qui commanda que buridan
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais ou sont les neiges d'antan?
Fut jeté en un sac en Seine?
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang
Qui beauté eu trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qui beauté eu trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Ou est la très sage Hélloïs,
Pour qui châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour eu cette essoine.
Semblablement, ou est la reine
Qui commanda que buridan
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais ou sont les neiges d'antan?
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais ou sont les neiges d'antan?
La reine blanche comme lis
Qui chantait a voix de sirène,
Berte au grand pied, Bietrix, Aliz
Harembourgis qui tient le Maine,
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent a Rouen;
Où sont ils Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?
Où sont ils Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?
Prince, n'enquérez de semaine
Ou elles sont, ne de cet an,
Que ce refrain ne vous remaine:
Mais ou sont les neiges d'antan?
Que ce refrain en vous remaine;
Mais ou sont les neiges d'antan?
Poésies et chansons évoquent des thèmes fondamentaux et peu nombreux finalement comme le rappelle avec justesse Brassens dans le documentaire ci-dessous.
L'amour, La mort, La fuite du temps, Dieu, La nature
La poésie est par définition un jeu de sonorités lexicales et peut être mise en musique avec le succès que nous avons vu.
C'est donc un cycle vertueux qui se crée entre poésie et chanson : la poésie peut devenir chanson mais la chanson peut aussi devenir poésie quand elle est écrite par des "chanteurs à texte" comme Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara, ou encore Jacques Prévert et Charles Trenet.
De même, force est de constater qu'un poème mis en musique appartient autant au poète qui l'a créé qu'au compositeur qui l'a "mélodié" ou à l'interprète qui l'a chanté.
Observons par exemple comment Serge Gainsbourg s'est totalement projeté dans le poème de Baudelaire, occasion pour lui de mettre en scène sa propre muse que fut Jane Birkin.
BAUDELAIRE / GAINSBOURG Le serpent qui danse
Que
j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêlent
L’or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur !
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